Hofmannswaldau

CHANTS DE DESESPERANCE (Verzweifflungs-gedichte)

J’ai tristement fermé les yeux,
Mon front s’est caché dans mes mains ;
On m’a pris ma joie, mon repos ;
Le chagrin a rempli ma tête.
Je m’éveillais, je m’endormais,
Je voulais être mort et cendre,
Je voulais vivre loin d’ici.
Et pour que rien ne demeure inconnu
La folie a fourni
A ma main  plume et papier.

Allons, mes sens, allons, mes pieds !
Je ne peux plus traîner ici.
L’attente ne fait que m’aigrir.
Je voudrais m’enfuir de ce monde.
Je crache sur l’or et les sceptres ;
Qu’on me haïsse ou me sourie,
C’est tout un pour moi.
L’amour qui nous rend insensés
Qui nous force à errer dans l’obscur,
Il ne faut plus qu’il trouble ma boussole.

Je ris lorsque je considère
La sotte vie que j’ai menée,
Quand je regarde comme il faut
Le point où j’en suis arrivé ;
Je frissonne au fond de mes os ;
Mon front est de pierre et de glace.
Ma lignée s’arrête et mon esprit se fige ;
Assez erré, assez gémi.
Le temps a fait s’enfuir l’erreur.
Je ne veux plus moisir ici.

J’irai dans une crypte blanche/
Où le soleil n’arrive pas/
Où l’odeur de l’air renfermé
Nous achemine vers la mort/
Le venin des serpents, le souffle des dragons/
Qu’ils m’emplissent le nez/ la poitrine et le ventre/
Qu’ils chassent à jamais mon esprit/
Afin que ce corps desséché
Soit un régal approprié
Pour la dent des jeunes dragons.

Et si je ne suis pas condamné à mourir/
Par le venin d’habiles serpents/
Si aucune mère dragon
Ne veut m’aider dans mon malheur/
J’irai dans les pays torrides
Où le sable brûlant
Ne nourrit que des lions/
Qui sauront bien dévorer
(Car je ne cherche que la mort)
Mes soucis et ma chair.

Si ni dents ni venins ne veulent
Me séparer l’âme du corps/
S’il n’est rien pour m’anéantir/
Je ne peux souffrir plus longtemps :
C’est alors cette faible main
Qui s’en prendra à ma poitrine/
Qui percera ce méprisable corps ;
Si mon sang corrompu m’a fait souffrir
Et jeté en grande misère/
Je suis prêt à m’en venger.

Les cheveux se dressent sur ma tête
Quand je considère cette vie/
Où repos et joyeuseté
Ont renoncé à me faire une place.
Je suis un mort qui marche/
Une charogne sur deux pieds/
Un cadavre pourri sans cercueil/
Un brasier de vilains désirs/
Une horreur qui les fait tous rire/
Une étroite boutique aux denrées sans valeur.

Pour que ma plume n’aille pas
En dire trop sur ma méchante vie/
Je lui fixe ici un terme/
Je ne veux pas qu’elle continue/
Ici prend fin mon pèlerinage/
Bonne chance à qui peut rester/
Mon bonheur est de me défaire.
Bonne nuit/ mes bons amis/
Par testament je vous lègue ce vœu :
Que mon ennemi hérite de ma vie.