LE SAINT GRAAL

 

 

Au tumulte des armes, aux exploits accomplis

Dans les joutes et les tournois,

Sire Perceval, celui qui, pour Arthur

Et pour ses chevaliers, était « le Pur »,

Avait renoncé, pour mener une vie

De silence et de prière,

De louange, de jeûne et de charité ;

Il avait délaissé le heaume pour la bure

Dans une abbaye loin de Camelot,

Et là, bientôt, il mourut.


Un de ses compagnons, un moine, Ambrosius,

L'aimait plus que tous et l'honorait ;

Il portait dans son cœur une forme d'amour

Qui éveillait l'amour en réponse.

Comme ils étaient assis

Sous un if vieux comme le monde, qui couvrait

D'ombre la moitié du cloître, un matin d'avril,

Et comme le vent secouait les branches,

Faisant tomber sur eux un nuage de pollen,

(C'était juste avant l'été où il mourut)

Le moine Ambrosius questionna Perceval.


« Frère, j'ai vu les pollens de cet if,

Printemps après printemps, pendant cinquante années ;

Jamais je n'ai connu le monde du dehors,

Jamais je n'ai franchi la clôture. Mais toi,

Lorsque tu vins – si grande était la courtoisie

Qu'exprimaient ton corps et ta voix – je te reconnus

Pour l'un de ceux qui mangent au palais d'Arthur ;

Car vous êtes bons ou mauvais, comme des pièces de monnaie,

De bon aloi ou trop légères ; mais chacun de vous

Est marqué de l'image du Roi. Et maintenant

Dis-moi ce qui t'a éloigné de la Table ronde,

Mon frère. Est-ce un amour terrestre contrarié ? »


« Non, » dit le chevalier. « Ce n'est pas un amour d'ici-bas.

C'est la douce vision du Saint Graal

Qui m'a éloigné de ces vaines gloires, de ces rivalités,

De ces brasiers d'ici-bas qui bondissent, qui étincellent

Dans les joutes entre nous, pendant que les femmes observent

Qui gagne, qui tombe, et détruisent en nous

La force de l'esprit qu'il vaut mieux consacrer au ciel. »


Et le moine : « Le Saint Graal (je suis sûr

Que nous sommes naïfs aux yeux du Ciel ; mais ici,

Nous vivotons, au moins pour ce qui est des choses du dehors),

L'un de vos chevaliers, pourtant, qui fut notre hôte,

Nous en parla dans notre réfectoire,

Mais si tristement, d'un ton si bas

Que nous n'entendions pas

La moitié de ce qu'il disait. Qu'est-ce donc ?

Le fantôme d'une coupe, qui va et vient ?


« Non, moine. Quel fantôme ? » répondit Perceval.

C'est la coupe, la coupe même où Notre Seigneur

A bu lors du dernier repas avec les siens.

Du pays béni d'Aromat –

Après le jour obscur où les morts

Vinrent errer sur Moriah – le bon

Joseph d'Arimathie l'apporta

À Glastonbury, où l'épine d'hiver

Fleurit à Noël, en mémoire de Notre Seigneur.

Il y resta un temps ; et si un homme

Pouvait le toucher ou le voir, il était guéri soudain,

Grâce à sa foi, de tous ses maux. Mais les temps

Se firent si mauvais que la sainte coupe

Fut emportée au ciel et disparut. »


Le moine, alors : « Je sais, par nos vieux livres

Que Joseph autrefois vint à Glastonbury,

Et que là, le prince païen Arviragus

Lui donna dans le marais une île où bâtir ;

Et là, il bâtit avec des roseaux du marais

Une petite église isolée, en ces jours-là.

C'est ce que disent nos livres à nous, mais ils semblent

Muets sur le miracle, pour autant que je les ai lus.

Qui donc a, aujourd'hui, vu cette chose sainte ? »

« Une femme, » répondit Perceval, « une moniale,

Et qui m'est proche par le sang, car c'est

Ma sœur ; et, si jamais sainte fille

A usé la pierre avec les genoux de l'adoration,

Cette fille est sainte. Car jamais fille ne brûla –

Mais c'était dans sa toute première jeunesse –

D'une aussi fervente flamme d'amour humain

Qui, repoussé brutalement, ne brilla plus

Que pour les choses saintes ; elle s'adonna toute

À la prière, à la louange, au jeûne, à l'aumône. Pourtant,

Jusqu'à elle, toute recluse qu'elle fût, parvinrent

À travers la grille de fer de sa cellule,

Le scandale de la Cour, péché contre Arthur et la Table ronde,

L'étrange rumeur d'une race adultère.

Elle n'en pria, n'en jeûna que plus fort.


« Et celui à qui elle disait ses péchés, ou ce que

Sa candeur extrême regardait comme péchés,

Un homme vieux de presque cent hivers,

Avec elle souvent parlait du Saint Graal,

Une légende transmise par cinq ou six personnages,

Vieux chacun de cent hivers,

Depuis l'époque de Notre Seigneur. Et quand le roi Arthur

Établit la Table ronde, et que les cœurs de tous

Pour un temps furent purifiés, sans doute il pensa

Que le Saint Graal allait revenir ;

Or le péché se déchaînait. Ah ! Christ ! qu'il revienne

Et guérisse le monde de toute sa vilenie !

« Père, » dit la jeune fille, « se pourrait-il qu'il vienne

À moi par le jeûne et la prière ? » « Oh, » dit-il,

« Je ne sais pas. Ton cœur est pur comme la neige. »

Donc, elle pria et jeûna. Si bien qu'à travers elle

Le soleil brillait, et le vent soufflait ; et je pensai,

Quand je la vis, qu'elle aurait pu s'envoler et planer. »


« Car un jour elle me fit venir, pour parler avec moi ;

Et quand elle vint pour me parler, ses yeux

Étaient plus beaux que toute idée que j'en avais,

Plus merveilleux que toute idée que j'en avais,

Beaux dans la lumière de la sainteté.

« O mon frère Perceval, » dit-elle,

« Mon doux frère, j'ai vu le Saint Graal ;

Éveillée au plus sombre de la nuit, j'ai entendu un son

Comme celui d'un cor d'argent sur les collines.

Et j'ai pensé : « Ce n'est pas la coutume d'Arthur

Que de chasser au clair de lune. Et ce faible son

Qui venait d'un lointain au-delà des lointains

Prenait force en venant vers moi. Oh ! Ni harpe, ni cor,

Rien de ce que font vibrer notre souffle ou notre main,

Ne ressemblait à cette musique qui s'approchait ; puis

Un froid rayon d'argent traversa ma cellule

Et le long de ce rayon vint le Saint Graal,

Rouge comme la rose, et frémissant, comme s'il vivait.

Et les murs blancs de ma cellule se coloraient

De taches roses qui dansaient sur le mur.

Alors la musique s'éteignit et le Graal

Passa, et le rayon faiblit et le tremblement rose

S'effaça sur les murs et disparut dans la nuit.

Et voici que la Sainte Chose est à nouveau

Parmi nous, frère ; jeûne et prie, toi aussi.

Dis à tes frères chevaliers de jeûner et de prier,

Afin que, si c'est possible, la vision soit aperçue

De toi et d'eux, et que le monde soit guéri. »


« Alors, quittant le pâle moniale, j'en parlai

À tous les hommes ; moi-même, je jeûnais et priais

Constamment ; et beaucoup d'entre nous, plus d'une semaine,

Jeûnèrent et prièrent de toutes leurs forces,

Attendant la merveille qui devait advenir.


« L'un d'entre eux portait toujours

Une armure blanche : c'était Galahad.

« Que Dieu te fasse bon autant que tu es beau, »

Dit Arthur, quand il l'adouba, et personne

N'a été fait chevalier aussi jeune

Que Galahad ; et ce Galahad, quand il apprit

La vision de ma sœur, me remplit d'étonnement.

Ses yeux devinrent semblables aux siens ; ils semblaient être

À elle, et il était son frère plus que moi.


« Il n'avait ni frère ni sœur ; certains disaient

Qu'il était fils de Lancelot ; d'autres, qu'il était né

Par enchantement – c'étaient de vains bavards,

Comme des oiseaux de passage qui pépient en tous sens,

Gobe-mouches ; qui sait d'où ils viennent ?

Lancelot a-t-il jamais erré par luxure ?


« Mais elle, la douce fille pâle, coupa

Sur son front tout ce trésor de chevelure

Qui fit un tapis de soie pour ses pieds,

Puis elle en tressa une forte ceinture,

Large et longue ; avec du fil d'argent

Et du fil cramoisi, elle y broda un étrange dessin,

Un graal cramoisi dans un rayon d'argent.

Elle vit le brillant jouvenceau et la lui donna,

Disant : « Chevalier, mon amour, mon chevalier céleste,

Toi, mon amour, dont l'amour est un avec le mien,

Moi, vierge, autour de toi, vierge, j'attache ma ceinture.

Va, car tu verras ce que j'ai vu ;

Va tout droit. Quelqu'un te couronnera roi,

Loin d'ici, dans la cité spirituelle. » Elle parlait

Et fit entrer en lui la passion immortelle

Qui était en elle, et le fit sien, et posa son esprit

Sur lui, et il crut en sa croyance.


« Alors vint une année de miracle. Frère,

Dans notre grande salle, il y avait un siège vide,

Que Merlin avait fait avant de trépasser

Et sculpté d'étranges figures, et parmi les figures,

Comme un serpent rampait un ruban

Couvert de lettres, dans une langue que nul ne pouvait lire.

Et Merlin l'appelait : « le Siège Périlleux. »

Périlleux pour le bien et pour le mal ; « car ici, » disait-il,

« Nul ne pouvait s'asseoir sans se perdre soi-même. »

Et une fois, par distraction, Merlin s’assit

Sur son propre siège, et se perdit. Mais lui,

Galahad, quand il apprit le sort de Merlin,

Cria : « Si je me perds moi-même, je me sauve. »


« Alors, pendant une nuit d'été, il arriva

(Il y avait grand festin dans la salle)

Que Galahad s'assit sur le siège de Merlin.


« Et soudain, tous assis, nous entendîmes

Un craquement, une rupture dans les toits,

Un déchirement, une bourrasque, et enfin

Un tonnerre, et dans ce tonnerre, il y avait un cri

Et dans la bourrasque on vit jaillir, tout au long de la salle,

Un rayon de lumière sept fois plus clair que le jour

Et tout au long de ce rayon passa le Saint Graal,

Dissimulé par un nuage lumineux,

Et nul ne put voir qui le portait, et il passa.

Mais chaque chevalier vit le visage de son compagnon

Comme dans une gloire, et tous les chevaliers se levèrent,

Et se regardant l'un l'autre comme des muets,

Ils restaient là, immobiles, jusqu'à ce que

Je retrouve ma voix et fasse un vœu.


« Je fis le vœu, devant tous, d'aller,

Parce que je n'avais pas vu le Graal, errer

Douze mois et un jour à sa recherche

Jusqu'à ce que je le trouve et le voie, comme la moniale,

Ma sœur, l'avait vu ; et Galahad fit ce vœu

Et le bon Sire Bohort, cousin de notre Lancelot, aussi,

Et Lancelot lui-même, et beaucoup d'autres parmi les chevaliers

Et Gauvain fit ce vœu, à voix plus haute que tous. »


Alors le moine Ambrosius lui demanda :

« Que dit le Roi ? Arthur prononça-t-il le vœu ? »

 

« Non, car mon seigneur le Roi, » dit Perceval,

« N'était pas dans la salle : ce même jour,

Échappée par un souterrain à un bandit effronté,

Une fille outragée était entrée dans la salle

En implorant de l'aide ; et sa brillante chevelure

Était souillée de terre, et ses bras blancs,

Mordus jusqu'au sang par les dents des ronces,

Et tout son vêtement, déchiré comme est déchirée

Dans l'ouragan la voile arrachée à l'écoute.

Le Roi s'était levé, était parti pour enfumer

Le scandaleux essaim des abeilles sauvages

Qui faisaient dans son royaume ce vilain miel. Pourtant,

Il vit, lui aussi, quelque chose de la merveille

En s'en retournant par la plaine, qui commençait alors

À s'assombrir près de Camelot, et le Roi

Levant les yeux, cria : « Oh ! Les toits de notre salle

Fument, comme frappés par la foudre.

Prions le Ciel que l'éclair ne les ait pas atteints ! »

Car cette salle, notre salle, était chère au cœur d'Arthur.

Si souvent il y avait, avec tous ses chevaliers,

Festoyé ; et c'était sous le ciel la plus belle qui soit.


« O frère, si vous aviez vu cette salle superbe

Que Merlin pour Arthur, il y a longtemps, avait bâtie !

Toute la montagne sacrée de Camelot,

Toute la ville sombre et riche, toit après toit,

Tour après tour, flèche après flèche,

Jardins, pelouses, ruisseaux jaseurs,

Tout monte vers la salle superbe que Merlin a bâtie.

Quatre grands bandeaux de sculpture, séparés

Par des symboles mystiques, font le tour de la salle.

Dans celui d'en-bas, des bêtes tuent des hommes.

Dans le deuxième, des hommes tuent des bêtes.

Sur la troisième sont des guerriers, hommes parfaits.

Sur le quatrième, des hommes à qui poussent des ailes,

Et au-dessus de tout une statue à l'effigie

D'Arthur, faite par Merlin, avec une couronne,

Et des ailes pointées vers l'Étoile du Nord.

La statue regarde l'Est, et sa couronne

Et ses deux ailes sont faites d'or, et scintillent

À l'aube ; et les gens, dans les plaines lointaines,

Si souvent dévastées par les hordes païennes,

Regardent et disent : « Nous avons toujours un roi. »


« Et, frère, si vous aviez vu la salle à l'intérieur,

Plus large et plus haute que toute autre dans le pays.

Douze grandes fenêtres blasonnent les guerres d'Arthur.

Et toute la lumière qui tombe sur la table

Passe à travers les douze grandes batailles de notre Roi.

Non. Il en est une, à l'extrémité Est,

Riche de lignes capricieuses : montagne, étang,

Où Arthur trouve l'épée Excalibur ;

Une autre, vers l'Ouest, face à elle,

Vide. Qui la blasonnera ? Quand ? Comment ?

C'est là, peut-être que, toutes guerres achevées,

L'épée Excalibur sera jetée.


« Ainsi le Roi se hâtait vers la salle,

En proie à la terreur: l'œuvre de Merlin,

Ce rêve, allait-elle soudain disparaître, enveloppée

Dans les plis sans pitié d'un feu qui roule ?

Il entra, sur son cheval, et je levai les yeux ; je vis

Sur son casque le dragon d'or étincelant

Et ceux qui avaient brûlé la forteresse, leurs bras

Tailladés, leurs fronts noircis par la fumée,

Le suivaient, et les visages clairs, les nôtres,

Pleins de leur vision, se pressaient ; et le Roi

Me dit – j'étais tout près de lui – « Perceval, »

(Car la salle était en tumulte, les uns prononçant

Leur vœu, d'autres s'y opposant) « qu'y a-t-il ? »


« Frère, quand je lui dis ce qui s'était passé,

La vision de ma sœur et le reste, son visage

S'assombrit, comme souvent je l'avais vu,

Lorsqu'un bel exploit lui semblait accompli pour rien,

S'assombrir ; et : « Malheur à moi, mes chevaliers, » cria-t-il.

« Si j'avais été là, vous n'auriez pas prononcé ce vœu. »

Ma réponse fut hardie : « Si tu avais été là,

Mon Roi, tu aurais prononcé le vœu. » « Oui, oui, » dit-il

« Te voilà bien hardi, toi qui n'as pas vu le Graal. »


« Seigneur, j'ai entendu le bruit, j'ai vu la lumière.

Mais parce que je n'ai pas vu la chose sainte,

J'ai juré de la poursuivre jusqu'à ce que je la voie. »


« Alors à tous il nous demanda, chevalier après chevalier,

Si quelqu'un l'avait vu ; toutes les réponses furent semblables.

« Non, Seigneur, et c'est pourquoi nous avons prononcé le vœu. »


« Soit », dit Arthur, « qu'avez-vous vu, sinon un nuage ?

Et, une fois dans le désert, qu'y verrez-vous ? »


« Alors Galahad, tout soudain, d'une voix

Qui traversa toute la salle jusqu'à Arthur :

« Moi, Seigneur Arthur, j'ai vu le Saint Graal.

J'ai vu le Saint Graal ; j'ai entendu un cri :

« O Galahad, o Galahad, suis-moi. »


« Ah, Galahad, Galahad, » dit le Roi. La vision

Est pour ceux qui te ressemblent, non pour ceux-là.

La sainte moniale et toi, vous avez vu un signe

(Personne, Perceval, n'est plus sainte qu'elle)

Un signe qui détruit l'Ordre que j'ai créé.

Pour vous qui ne suivez que la cloche d'un guide, »

(Frère, le Roi traitait durement ses chevaliers)

« Taliessin est le maître des chansons ;

Que quelqu'un chante et tous les muets s'y mettent.

Lancelot est Lancelot ; il a vaincu

Cinq chevaliers à la fois. Alors tout jeune chevalier,

Sans avoir été à l'épreuve, se voit lui-même en Lancelot.

Jusqu'à ce que, vaincu par quelqu'un, il s'instruise ; et vous,

Qui êtes-vous ? Des Galahad ? Non, ni des Perceval. »

Car il plut au Roi de me placer tout juste

Après Sire Galahad. — « Non, » dit-il, « juste des hommes

Forts, prêts à faire justice aux offensés, capables

De faire baisser la tête aux violents trop brusques.

Des chevaliers qui, en douze grandes batailles, ont éclaboussé

Le Cheval Blanc avec son propre sang de païen.

Mais un homme a vu, et tous les aveugles prétendent voir.

Allez, votre vœu est sacré, puisque déjà prononcé.

Mais – vous savez que tous les cris de mon royaume

Passent par cette salle — souvent, mes chevaliers

Puisque vos places près de moi resteront vides,

L'occasion de grands exploits va venir et se perdre

Sans qu'on l'ait saisie, pendant que, perdus dans les marais,

Vous poursuivrez des feux follets. Beaucoup d'entre vous,

La plupart, ne reviendront pas. Vous trouvez que je suis

Un prophète trop sombre ? Allons, attendons

Le matin, une fois encore, en passant agréablement

Le temps, qu'une fois encore le Roi, avant

Que vous ne le quittiez pour cette quête, contemple

La force encore entière de tous ses chevaliers,

Et trouve sa joie dans cet Ordre qu'il a créé. »


« Ainsi quand le soleil eut jailli des profondeurs,

Toute la Table ronde de notre Arthur se réunit

Et se lança dans un tournoi.

Plus d’une lance fut brisée. Jamais Camelot

N’en avait vu autant depuis que vint Arthur

Et moi et Galahad ; la vision nous avait

Donné la force, nous avons désarçonné

Tant de chevaliers que les gens hurlaient ;

Dans leur enthousiasme, ils faillirent briser les barrières ;

Ils criaient : « Sire Galahad ! » et « Sire Perceval ! »


« Mais quand le jour suivant surgit des profondeurs,

O Frère, si vous aviez vu notre Camelot,

Bâti autrefois par des rois, génération après génération, si vieux

Que le Roi lui-même craignait qu’il ne s’écroule,

Étrange et riche et sombre ; là où les toits

Penchaient l’un vers l’autre dans le ciel,

Les fronts de ceux qui nous regardaient passer

Se touchaient au-dessus de la rue ; plus bas,

De riches balcons, chargés de dames,

Pesaient sur la nuque des dragons

Qui étaient agrippés aux murs délabrés. Plus drues

Que les gouttes de l’orage, des averses de fleurs

Tombaient comme nous passions. Des hommes, des enfants

À cheval sur des guivres, des lions,

Des dragons, des griffons, des cygnes,

À tous les coins de rue appelaient par son nom

Chacun de nous, criant : « Dieu vous garde ! »

Mais tout en bas, près des portes,

Les chevaliers et les dames pleuraient ; riches et pauvres

Pleuraient, et le Roi lui-même pouvait à peine parler,

Tant il était triste, et la Reine au milieu de la rue,

À cheval près de Lancelot, se désolait et criait à voix haute :

« Cette folie nous est venue pour nos péchés. »

Ainsi nous arrivâmes à la Porte des Trois Reines,

Où les guerres d’Arthur sont mystiquement représentées.

Et de là chacun partit pour suivre sa voie.


« Et j’exultais en mon âme et je pensais

Aux exploits que je venais d’accomplir dans le tournoi ;

Ma forte lance avait abattu des chevaliers

Illustres en grand nombre ; et jamais encore

Le ciel n’avait paru si bleu, ni la terre si verte.

Mon sang dansait en moi, et je savais

Que j’allais rencontrer le Saint Graal.


« Puis le sombre avertissement de notre Roi

(La plupart d’entre nous poursuivrait des feux follets)

Traversa mon âme comme une vague obscure

Et tous les mots mauvais que j’avais dits un jour,

Tous les pensers mauvais que j’avais autrefois pensés,

Toutes les actions mauvaises que j’avais commises

S’éveillaient et criaient : « Cette quête n’est pas pour toi ! »

Et je levai les yeux, et je me retrouvai

Seul, dans un pays de sable et d’épines, et j’avais soif à en mourir

Et moi aussi je criai : « Cette quête n’est pas pour toi ! »


« Et j’allai de l’avant, et quand je crus que ma soif

Allait me tuer, je vis de profondes prairies, puis un ruisseau,

Avec de forts rapides où l’écume vive

Jouait à contre-sens sur la vague emportée,

Frappant l’œil et l’oreille ; au-dessus du ruisseau,

Il y avait des pommiers, et des pommes, près du ruisseau

Tombées, et sur les prairies. « Je veux ici me reposer, »

Dis-je, « je ne suis pas digne de cette quête. »

Mais comme je buvais au ruisseau et mangeais

Ces bonnes pommes, toutes choses à l’instant

Tombèrent en poussière, et je restai seul,

Assoiffé dans un pays de sable et d’épines.


« Puis je vis une femme sur son seuil

Filant. Belle était la maison,

Et doux les yeux de la femme, et innocents,

Et gracieuse son allure ; elle se leva,

Les bras ouverts, à ma rencontre, comme pour dire :

« Venez vous reposer ; » mais quand je la touchai, elle aussi

Tomba en poussière et en néant, et la maison

N’était plus rien qu’un hangar en ruine,

Abritant un enfant mort, et cela aussi

Tomba en poussière et je restai seul.


« Et j’allai de l’avant, plus grande était ma soif.

Un rayon jaune soudain parcourut le monde,

Et quand il frappait une charrue dans un champ,

Le laboureur cessait de labourer et tombait

Devant lui ; et quand il glissait sur un seau,

La vachère cessait de traire et tombait

Devant lui, et je ne savais pas pourquoi, et je pensais :

« Le soleil se lève ». Et pourtant le soleil était levé.

Et j’aperçus quelqu’un qui fonçait sur moi,

En armure d’or, avec une couronne d’or

Sur un casque de pierres précieuses, et son cheval

En armure d’or partout orné de pierres précieuses.

Et sa splendeur s’approchait et m’aveuglait.

Je le prenais pour le maître du monde

Tant il était puissant. Mais quand je crus qu’il allait

M’écraser en fonçant sur moi, voici que lui aussi,

Il ouvrit les bras pour m’embrasser ;

Et je m’approchai et je le touchai, et lui aussi

Tomba en poussière et je restai seul,

Malheureux dans un pays de sable et d’épines.


« Et j’allai de l’avant, et trouvai une haute colline,

Sur son sommet une ville remparée ; les clochers

Perçaient le ciel de pointes incroyables.

Sur la chaussée se pressait une foule ; et ces gens

Criaient pendant que je montais : « Bienvenue, Perceval ! 

Toi, le plus fort et le plus pur des hommes ! »

Et j’étais content, et je montais, mais au sommet je ne trouvai

Ni homme, ni voix. Et je traversai

Une ville en ruine, et je vis

Que des hommes autrefois avaient habité là, mais je ne trouvai

Qu’un homme d’un âge extrêmement avancé.

« Où est cette aimable compagnie, » dis-je,

« Qui m’appelait tout à l’heure ? » et il avait à peine

Assez de voix pour répondre – il hoquetait – :

« D’où es-tu ? Qui es-tu ? » et pendant qu’il parlait,

Il tomba en poussière et disparut, et moi,

Je restai seul une fois de plus et je criai dans ma détresse :

« Las, si je trouve le Saint Graal

Et le touche, il va se réduire en poussière ! »


« Et de là je descendis dans un vallon

Aussi profond qu’était la haute colline, et au plus profondeur

Du vallon je trouvai une chapelle, et tout près,

Un saint ermite dans un ermitage,

À qui je dis tous ces fantasmes, et il me dit :


« Ô fils, tu n’as pas la vraie Humilité,

La plus haute vertu, mère de toutes les autres.

Car lorsque le Seigneur de toutes choses, pour se faire

Mortel se dépouilla de sa gloire :

« Prends ma robe », dit-Elle, « tout est à toi. »

Et sa forme brilla d’une lumière soudaine,

Et les anges en furent stupéfaits, et Elle

Le suivit, comme cette étoile qui marchait

Guida la sagesse chenue de l’Orient.

Mais tu ne L’a pas connue ; car quelle idée

Avais-tu de ta promesse et de tes péchés ?

Tu ne t’es pas perdu toi-même pour te sauver

Comme Galahad. » Quand l’ermite eut fini,

Galahad apparut, soudain, en armure d’argent

Devant nous ; contre la porte de la chapelle

Il posa sa lance ; il entra. À genoux nous priâmes.

L’ermite alors étancha ma soif brûlante.

À la messe, pendant la consécration, je vis

Les saintes espèces, et rien de plus ; mais lui :

« N’as-tu pas vu davantage ? Moi, Galahad, j’ai vu le Graal,

Le Saint Graal, descendre sur le tabernacle.

J’ai vu le visage en flamme d’un enfant

Entrer dans le pain et disparaître.

Et je suis venu. Et jamais encore

Ce que ta sœur m’a appris à voir,

Cette sainte chose, n’a manqué près de moi, jamais

Elle n’est venue cachée ; elle était avec moi jour et nuit,

Moins visible le jour, mais dans la nuit

Rouge comme le sang, et le long des marais sombres

Rouge comme le sang, et sur le sommet de la montagne

Rouge comme le sang, et dans l’étang assoupi

Rouge comme le sang. Dans sa force j’allai de l’avant

Renversant partout les mauvaises coutumes ;

J’ai parcouru les royaumes païens ; je les ai conquis.

J’ai combattu les hordes païennes ; je les ai terrassées.

J’ai tout traversé, et dans cette force,

J’arrive vainqueur. Mais j’ai peu de temps,

Et je m’en vais, et quelqu’un va me couronner roi,

Loin dans la cité spirituelle ; viens, toi aussi,

Et tu verras, quand je partirai, la vision. »


« Pendant que nous parlions, ses yeux, fixés sur les miens

M’attirèrent avec force, en sorte que je devins

Un avec lui, et crus ce qu’il croyait.

Puis quand le jour déclina, nous partîmes.


« Devant nous apparut une colline que nul ne pouvait gravir,

Balafrée, l’hiver, par cent torrents.

Tempête au sommet et, lorsque nous y fûmes, tempête

Autour de nous et mort. À chaque instant ses armes d’argent

Jetaient des étincelles et des flammes, car les éclairs,

Pressés et drus, çà et là, à gauche et à droite,

Frappaient, et les vieux troncs secs autour de nous, morts,

Pourris après cent ans de mort,

Explosaient en flammes. En bas, nous trouvâmes,

De tous côtés, aussi loin que l’œil pouvait voir,

Un grand marais noir, de mauvaise odeur,

En partie noir, en parti blanchi par des ossements d’hommes,

Impossible à traverser, sinon qu’un roi, autrefois,

Avait construit une route : reliées par plus d’un pont,

Mille digues menaient à la grande Mer.

Et Galahad la suivit, pont après pont,

Et tous les ponts, dès qu’il les avait passés,

Explosaient en flammes et disparaissaient ; moi, j’essayais

De le suivre. Trois fois au-dessus de lui les cieux

S’ouvrirent et lancèrent le tonnerre, semblable au cri

De tous les fils de Dieu. Et bientôt

Je le vis, loin sur la grande Mer

Dans son armure d’argent qui brillait comme une étoile.

Au dessus de sa tête planait le Saint Vaisseau,

Couvert d’un blanc velours ou d’un nuage lumineux.

Et le bateau allait d’une extrême vitesse,

Si c’était un bateau, – je n’ai pas vu d’où il venait.

Et quand les cieux s’ouvrirent et s’illuminèrent encore

En grondant, je le vis comme une étoile d’argent.

Avait-il déployé la voile ? Le bateau s’était-il changé

En une créature vivante avec des ailes ?

Au dessus de sa tête planait le Saint Vaisseau,

Rouge plus que toutes les roses, une joie pour moi,

Car je sus que le voilà avait été ôté.

Puis, lorsque les cieux à nouveau s’ouvrant

S’illuminèrent, je vis la plus petite des étoiles

Descendre dans le désert, et juste derrière l’étoile,

Je vis la cité spirituelle, avec tous ses clochers

Et ses portes, dans une gloire comme une perle,

À peine plus grande (c’était pourtant le but de tous les saints),

Jaillir de la mer ; et de l’étoile partait

Une étincelle rouge vers la cité, et là,

Elle demeurait, et je sus que c’était le Saint Graal

Que jamais plus sur terre ne verront mes yeux.

Alors les flots du ciel vinrent noyer l’abîme.

Comment mes pieds ont-ils franchi la limite mortelle ?

Je n’en ai pas souvenir ; mais je sais qu’à l’aube

Je touchai les portes de la chapelle, et, de là,

Prenant mon destrier des mains du saint homme,

Heureux de n’être plus troublé par des fantasmes,

Je m’en retournai d’où j’étais venu,

À la porte des guerres d’Arthur.


« Frère, » dit Ambrosius, « en vérité il sont nombreux,

Ces vieux livres, qui devraient t’enchanter.

Mais je n’y trouve ni Saint Graal,

Ni miracles ni merveilles semblables à ce que tu dis,

Encore qu'il y ait des ressemblances. Je les lis souvent,

Moi qui ne lis facilement que le bréviaire,

Et ma tête se perd. Je pars, alors ; je vais

Jusqu’au petit hameau qui est tout près,

Façonné presque comme un nid de martinet

Contre un vieux mur, – et je parle aux gens.

Je connais chacun de leurs honnêtes visages,

Comme un berger connaît ses moutons

Et tous les secrets cachés dans leurs cœurs;

Je prends plaisir aux bavardages des vieilles :

Maux et douleurs, dents qui poussent, accouchements,

Amusantes plaisanteries, produits de l’endroit

Qui n’ont plus aucun sens une lieue plus loin.

Querelles apaisées dès leur naissance,

Railleries, médisances près de la croix sur le marché.

Tout me réjouit, homme simple, dans ce monde simple

Qui est le mien, même les poules et leurs œufs.

Frère, mis à part ce Sire Galahad,

N’as-tu vu dans ta quête que des fantômes ?

Pas d’hommes ? Pas de femmes ?


Alors Sire Perceval :

« Tous les hommes, pour celui que liait un vœu pareil,

Toutes les femmes n’étaient que fantômes. O, mon frère,

Pourquoi veux-tu me faire honte, m’obliger à t’avouer

Que j’ai manqué à la quête et à mon vœu ?

Après tant de nuits passées à dormir sur le sol,

Compagnon de l’escargot, du triton et du serpent,

Dans l’herbe et la bardane, je devins pâle

Et maigre, et la vision n’était pas venue.

Puis je rencontrai une bonne ville

Avec un grand logis en son milieu.

J’y entrai ; mon armure me fut ôtée

Par des jeunes aussi belles que des fleurs ;

Quand elles me menèrent dans la salle,

Voici que la princesse du château était l’unique,

Frère, la seule qui jamais

Avait fait bondir mon cœur ; lorsque j’étais

Un page fluet dans le manoir de son père,

Et elle une fille fluette, mon cœur pour elle

Était plein de désir, mais jamais

Nous n’avons échangé ni baiser, ni promesse.

Et voici que je la retrouvais.

Un homme l’avait épousée, puis était mort,

Et sa terre, et ses trésors et sa fortune, tout était à elle.

Tout le temps que je restai, chaque jour elle faisait dresser

Un festin plus riche que le jour d’avant

Pour moi ; car son désir et son vouloir

Allaient à moi, comme autrefois ; finalement, un beau matin,

Je marchais de long en large près d’une rivière

Qui traversait le jardin juste en-dessous

Des murs du château ; elle me rejoignit,

M’appela le plus grand de tous les chevaliers,

M’embrassa. Ce fut notre premier baiser.

Elle me donnait tout : ses trésors et elle-même.

Alors je me rappelai l’avertissement d’Arthur :

La plupart d’entre nous poursuivraient des feux follets.

Et la quête s’effaça de mon cœur. Alors

Ses gens se tournèrent tous vers moi,

Me suppliant, à genoux, avec de fortes paroles :

« Nous avons entendu parler de toi ; tu es le plus grand chevalier,

Dit notre dame, et nous la croyons.

Épouse notre dame et règne sur nous,

Et tu seras dans ce pays un autre Arthur. »

Hélas, mon frère, une nuit, mon vœu

Brûlait en moi ; je me levai et m’enfuis.

Mais je gémissais, je pleurais, je me détestais moi-même,

Et la sainte quête, et tout, sauf elle.

Mais lorsque Galahad me rejoignit,

D’elle je n’avais plus souci, ni de rien sur terre.

 

Alors le moine dit : « Les pauvres humains, quand Noël est froid,

Doivent se contenter de se chauffer à de petits feux.

C’est mon cas ; et vous n’avez que peu

Souci de moi ; oui, béni soit le ciel

Qui t’a conduit vers notre pauvre maison,

Où tous les frères sont si durs, pour réchauffer

Par l’amitié mon cœur glacé. Quelle pitié !

Retrouver ton premier amour, tenir,

Tenir entre tes bras une riche fiancée,

Presque la tenir, et la rejeter,

Oublieux de toute douceur, comme une mauvaise herbe !

Nous à qui manque la chaleur de la vie à deux,

Torturés par le rêve d’un rien de douceur

Qui serait, dans une vie heureuse, au delà de toute douceur –

Ah, Seigneur Dieu, je parle avec la sagesse de la terre,

Puisque jamais je n’ai erré loin de ma cellule,

Mais que je vis comme un vieux blaireau dans son terrier,

Cerné de tout côté par la terre, en dépit

De tout jeûne et pénitence. N’as-tu vu peronne,

Aucun de vos chevaliers ? »


« Si, » dit Perceval,

« Une nuit mon chemin fit un détour vers l’Est, je vis

Le pélican sur le casque de Sire Bohort

Au milieu de la lune qui se levait ;

J’éperonnai mon cheval pour aller à lui ; je le saluai ;

Il me salua. Et nous étions en joie. Il demanda :

« Où est-il ? L’as-tu vu, Lancelot ? Une fois, »

Dit le bon Sire Bohort, « il a traversé ma voie, fou,

Affolant sa monture, et quand je criai :

« Courir avec tant de fièvre dans une quête

Aussi sainte ! » Lancelot cria : « Ne m’arrête pas !

J’ai été paresseux, et je hâte le pas

Car il y a un lion sur mon chemin ! »

Et il disparut. »

 

« Alors Sire Bohort avait continué

Doucement, attristé pour Lancelot

Dont la folie d’autrefois (on en parlait,

Scandalisé, à notre table) était revenue.

Car la parenté de Lancelot le vénère tant

Que ce qui lui fait mal leur fait mal, et à Bohort

Plus qu’aux autres. Il aurait été content

De ne pas voir, pourvu que Lancelot la voie,

La Sainte Coupe qui guérit, et, de fait,

Accablé par sa tristesse et son amour,

Le cœur lui manquait après la sainte quête.

Si Dieu lui envoyait la vision, soit ! Si non,

La quête et lui étaient entre les mains du Ciel.


« Alors, sans rencontrer aventure, Sire Bohort

Suivit la route la plus désolée de tout le royaume

Et trouva au milieu des rochers une tribu,

Notre race, notre sang, un reste qui subsistait

Pami le cercles des païens, et les pierres,

Ils les dressent toutes droites vers le ciel. Et leurs sages

Maîtrisent cette vieille magie qui retrace

Les errances des étoiles ; ils se moquèrent de lui

Et de la haute quête, qui n’était rien.

Ils lui dirent qu’il poursuivait (presque les mêmes mots qu’Arthur)

Un feu follet. « Y a-t-il d’autre feu que celui

Qui fait battre le sang, s’épanouir les fleurs,

Qui anime la mer et réchauffe le monde ? »

Sa réponse les courrouça ; cette foule sauvage,

Voyant qu’il était en désaccord avec ses prêtres,

Le saisit, le lia, l’enferma dans un cachot

Entre des murs de pierres sèches ; et là, lié,

Dans l’obscur, pendant des heures innombrables,

Il entendait un grand bruit dans les cavités du ciel

Au dessus de lui. Et par miracle (quelle autre cause?)

Malgré sa masse, une grande pierre glissa et tomba ;

Nul vent n’aurait pu la faire bouger. Et par le trou

Il vit briller la course des nuages. Une nuit vint,

Aussi calme que le jour avait été agité. Et par le trou

Les sept étoiles claires de la Table ronde d’Arthur

(Frère, c’est ainsi qu’une nuit, parce qu’elles se meuvent

En rond dans le ciel, nous les avons nommées,

Heureux de notre Roi, heureux d’être nous-mêmes)

Comme les yeux brillants d’amis très proches

Brillèrent sur lui. « Et venant à moi, à moi, »

Dit le bon Bohort, « au-delà de tous mes espoirs,

(J’avais à peine formulé des prières et des demandes)

À travers les sept étoiles claires (Quelle grâce pour moi !),

Coloré comme les doigts d’une main

Devant un flambeau allumé, le doux Graal

Passa en planant, et juste après, retentit

Un tonnerre très sec. » Puis une jeune fille

Qui, dans sa tribu, gardait notre foi

En secret, entra, le délia et le laissa partir. »


Et le moine : « Je me rappelle maintenant

Le pélican sur la casque. C’était Sire Bohort

Qui parlait si bas, si tristement à notre table.

Et nous le trouvions digne de respect.

Un homme carré, honnête, et ses yeux,

Signe visible de cette ardeur en lui cachée,

Souriaient en même temps que ses lèvres,

– Sourire derrière un nuage,

Mais le ciel en faisait un sourire de soleil.

Ah, ah, Sire Bohort, qui d’autre ? Mais quand tu arrivas

À la ville, tous les chevaliers étaient-ils revenus

Ou y avait-il du vrai dans la prophétie d’Arthur ?

Raconte-moi. Qu’a dit chacun ? Qu’a dit le Roi ? »


Perceval répondit : « Je peux le dire,

Frère, sans erreur. Les paroles vivantes

Des grands hommes comme Lancelot et notre Roi

Ne passent pas pour s’envoler de porte en porte,

Mais demeurent dans la maison. Quand nous sommes arrivés

À la ville, nous chevaux trébuchaient en marchant

Sur des tas de ruines, des licornes sans corne.

Des basilics écrasés, des lézards massacrés,

Des salamandres en pièces tombés loin des murs

De pierres sèches montraient le chemin de la salle.


« Et là Arthur était assis sous un dais

Et ceux qui étaient partis pour la quête,

Épuisés, défaits, à peine un sur dix,

Et ceux qui étaient restés, tous entouraient le Roi,

Lequel, lorsqu’il me vit, se leva et me fit appeler,

Disant : « Une sérénité dans tes yeux refrène

Notre crainte d’un sort pour toi désastreux

En montagne ou en plaine, sur mer ou dans un gué.

Une bourrasque violente a fait ici force ravages

Parmi les étranges blasons de nos rois,

Elle a ébranlé notre salle, qui est neuve et solide,

À la statue que Merlin a fondue pour nous

Elle a tordu à demi une aile d’or. Maintenant, – la quête,

Cette vision, – as-tu vu la Sainte Coupe

Que Joseph autefois apporta à Glastonbury ? »


« Quand je lui dis tout ce que tu viens d’entendre,

Ambrosius, et ma résolution, nouvelle mais ferme,

De me consacrer à une vie de paix,

Il ne répondit rien, et, se détournant brusquement, demanda

À Gauvain : « Gauvain, que fut pour toi cette quête ? »


« Seigneur, » dit Gauvain,

« Elle n’était pas pour les gens de ma sorte.

J’ai conversé avec un saint homme

Qui m’a assuré qu’elle n’était pas pour moi

Car j’étais plus que las après cette quête.

J’ai vu dans une prairie un pavillon

Et des filles rieuses près de lui ; la bourrasque

Arracha de ses piquets le pavillon

Et dispersa de tout côté les filles rieuses

En grand malaise ; rien que pour cette aventure,

J’ai trouvé plaisants ces douze mois et ce jour. »


« Il se tut. Arthur se tourna vers celui que d’abord

Il n’avait pas vu, car Sire Bohort, en entrant, s’était frayé

Dans la foule un chemin vers Lancelot, avait saisi sa main,

La serrait et restait là, à demi caché par lui.

Le Roi l’aperçut et lui dit :

« Salut, Bohort, si jamais homme loyal et vrai

Pouvait le voir, tu as vu le Graal. » et Bohort :

« Ne me pose pas de question ; je ne peux pas en parler.

Je l’ai vu. » Et il y avait dans ses yeux des larmes.


« Il ne restait que Lancelot ; les autres

Ne parlaient que de dangers courus dans la tempête.

Peut-être, comme l’homme à Cana, selon la Sainte Écriture,

Notre Arthur gardait le meilleur pour la fin. »

Et toi, mon Lancelot », dit le Roi, « mon ami,

Le plus fort de nous tous, que t’a apporté cette quête ? »


« Le plus fort d’entre nous ! », répondit Lancelot

Avec un grognement, « O Roi, » –

Il fit une pause et je crus voir

Dans ses yeux un feu mourant de folie –

« O Roi, mon ami, si je suis ton ami,

Plus heureux sont ceux qui se vautrent dans le péché,

Cochons dans la boue, ceux qu’aveugle la vase,

La vase des fossés ; il y avait en moi un péché

Si étrange, ainsi fait que tout ce qui en moi était pur,

Noble et chevaleresque s’entrelaçait, s’accrochait

À ce seul péché, et les fleurs bienfaisantes

Poussaient avec les vénéneuses, si près les unes des autres

Qu’on ne pouvait les cueillir séparément,

Et quand les chevaliers prononcèrent le vœu,

J’en fis autant dans le fol espoir

Que si je pouvais toucher ou voir le Saint Graal

On pourrait les cueillir séparément. Et je parlai

Au saint le plus vénérable, qui pleura et me dit

Que si je pouvais les cueillir séparément, toute

Ma quête serait vaine ; je lui promis

D’agir selon sa volonté et je m’en allai,

Faisant effort et tentative pour les séparer dans mon cœur.

Et ma folie me reprit comme autrefois

Et son fouet me jeta loin dans de vastes plaines.

Là je fus abattu par de petites gens,

Des chevaliers de rien, qu’autrefois

Un mouvement de mon épée, l’ombre de ma lance

Aurait suffi à effrayer ; et j’arrivai

Dans ma folie jusqu’au rivage nu, désert,

Larges plages où ne poussent que des herbes dures,

Mais une bourrasque, Seigneur, se mit à souffler,

Une bourrasque si puissante sur le rivage et la mer

Qu’à cause d’elle on n’entendait plus le flot

Qui se hérissait en crêtes sur toute la mer

Comme une cataracte, et tout le sable

Était emporté comme une rivière, et le ciel nuageux

Était secoué par cette puissance et ce vacarme.

Et sur l’écume de la mer flottait un bateau noir

À moitié submergé, arraché à une chaîne.

Et dans ma folie, je me dis :

« Je veux m’embarquer et je veux me perdre

Et laver dans la grande mer mon péché. »

J’arrachai la chaîne, sautai dans le bateau.

Pendant sept jours je voguai sur l’affreux abîme

Et voguaient avec moi la lune et toutes les étoiles.

Le vent tomba, et pendant la septième nuit

J’entendis les galets grincer dans le ressac.

Je sentis que le bateau heurtait la rive, je levai les yeux

Et voici que les tours enchantées de Carbonek,

Un château comme un rocher sur un rocher,

Une porte ouverte, comme un abîme, sur la mer,

Un escalier qui allait à la rencontre des brisants. Il n’y avait

Personne là sinon un lion de chaque côté

De l’entrée, et la lune était pleine.

Alors je sautai hors du bateau, montai l’escalier,

Puis tirai mon épée. La crinière flottante,

Les deux bêtes se dressèrent debout comme des hommes,

Me prirent chacun par une épaule ; j’étais entre elles

Et j’allais les frapper quand j’entendis une voix :

« Ne crains rien ; va de l’avant. Si tu hésites, les bêtes

Te mettront en pièces. » Violemment

L’épée fut arrachée à ma main ; elle tomba.

J’entrai dans la salle sonore.

Mais dans la salle sonore, je ne vis rien,

Ni banc, ni table, ni peintures sur le mur,

Ni bouclier de chevalier, rien que la lune ronde

À travers la fenêtre sur les vagues de la mer.

Mais toujours, dans le silence de la maison, j’entendais

Claire comme une alouette, très haut comme une alouette,

Une voix douce qui chantait dans la plus haute tour

Du côté de l’est. Je montai mille marches

Avec peine ; comme en rêve, il me semblait que je montais

Toujours ; j’arrivai enfin à une porte ;

Il y avait une lumière dans une niche, et j’entendais :

« Gloire, joie et honneur à Notre Seigneur

Et au Saint Vaisseau, le Graal. »

Alors dans une folie, je voulus ouvrir la porte ;

Elle céda. Une lumière d’orage, une chaleur

Comme d’une fournaise chauffée sept fois, et moi,

Foudroyé, brûlé, aveuglé comme je l’étais,

Si violemment que je perdis connaissance, –

Il me semble que j’ai vu le Saint Graal,

Recouvert de velours cramoisi, et tout autour

De grands anges, figures terrifiantes, des ailes, des yeux !

Et n’étaient ma folie et mon péché

Et ma pâmoison, j’aurais juré que j’ai vu

Ce que j’ai vu, mais ce que j’ai vu était voilé

Et recouvert, et cette quête n’était pas pour moi. »


« Ayant ainsi parlé, s’étant tu, Lancelot quitta

La grande salle silencieuse, puis Sire Gauvain, oui...

Frère, faut-il que je prononce des paroles folles ?

C’est un chevalier téméraire et sans respect

Que rendait hardi le silence du Roi.

Bon ! Je te le dis. « Roi, mon Seigneur », dit-il,

« Gauvain a-t-il jamais faibli dans une de tes quêtes ?

Ai-je ménagé mes coups en champ clos ?

Mais dans ta quête, Perceval, mon bon ami,

Ta sainte moniale et toi vous m’avez rendu fou ;

Vous avez fait de moi le pire des fous.

Par mes yeux et mes oreilles je jure

Que je serai plus sourd que le chat aux yeux bleus,

Trois fois plus aveugle que le hibou à midi

Pour les vierges saintes et leurs extases,

À partir d’aujourd’hui. »


« Plus sourd, » dit le Roi irréprochable,

« Gauvain, et plus aveugle aux choses saintes,

N’espère pas le devenir par des serments,

Car tu es trop aveugle pour avoir désir de voir.

Si vraiment un signe est venu du ciel,

Bénis sont Bohort, Lancelot et Perceval,

Car ils ont vu selon la mesure de leur force.

Tous les prophètes enflammés du temps jadis,

Toute la folie sainte des bardes,

Quand Dieu en eux jouait sa musique ne pouvaient

Dire cette musique que par les cordes de la harpe.

Selon que vous avez vu, vous avez dit la vérité.


« Mais tu te trompes, Lancelot. Jamais

Ce qui est noble et vrai dans l’homme et le chevalier

N’a pu s’attacher à un seul péché, quel qu’il soit,

Très étroitement. Mais on voit naître, à part,

L’homme serait-il le cochon que tu dis,

Un surgeon de noblesse et de chevalerie.

Veille à ce qu’un jour il porte des fleurs. »


« N’ai-je pas dit vrai, mon chevalier ?

Étais-je un prophète trop sombre quand j’ai dit

À ceux qui partaient pour la Sainte Quête

Qu’ils poursuivraient, pour la plupart, des feux follets,

Qu’ils se perdraient dans les marais ? Perdus pour moi, partis,

Ils m’ont laissé devant une table vide,

Et mon Ordre a décliné, — sur dix un seul est revenu, –

Et de tous ceux que la vision a visités

Le plus grand peine à croire qu’il a vu.

Un autre a vu de très loin et maintenant,

Laissant les torts des hommes se redresser d’eux-mêmes,

Il n’a souci que d’aller vivre une vie de silence.

Un autre a vu la vision face à face

Et maintenant son siège l’attend en vain.

C’est ailleurs qu’on l’a couronné.


« Et certains d’entre vous ont cru que si le Roi

Avait vu la vision il aurait prononcé le vœu.

Ce n’est pas sûr, car le Roi doit garder

Ce sur quoi il règne ; il n’est qu’un paysan.

Il a reçu une terre à travailler ;

Il ne peut pas s’en aller loin de ce champ,

Avant que son travail soit achevé. Mais quand il a fini,

Que les visions de la nuit et du jour

Viennent alors à leur gré ! Et plus d’une fois elles viennent

Et la terre qu’il foule ne semble plus être une terre,

La lumière qui frappe ses yeux n’est plus une lumière,

L’air qui frappe son front n’est plus de l’air,

Mais une vision – oui, tout, même sa main et son pied –

Dans ces moments où il sent qu’il ne peut pas mourir

Et qu’il n’est pas lui-même pour lui-même une vision,

Et que Dieu n’est pas une vision, ni Celui

Qui est ressuscité. Vous avez vu ce que vous avez vu. »


« Ainsi parla le Roi ; et je ne compris pas ce qu’il voulait dire. »