AU COMMENCEMENT ÉTAIT POUCHKINE
Le
prétendu « réalisme » sous lequel on a, pendant un siècle et demi,
accablé Pouchkine, ressemble curieusement à ce que le classicisme a de plus
guindé et de plus grincheux. Sous couleur de révéler la vérité, il dénonce les
illusions ; aussi est-il engagé dans une recherche profondément morale,
non sans courir le risque de prendre pour morale celle que respecte le bon sens
le plus étroit. Le prétendu « naturalisme », comme la tradition
classique du poème didactique, préfère la satire à l’élégie, et la fable à la
satire.
Qu’est-ce
que la fable ? le récit d’une anecdote indifférente, absurde peut-être,
invraisemblable, mais qui permet d’énoncer, au début ou à la fin, une vérité
morale de quelque poids : constatation ou précepte. Que faut-il attendre
du roman, si l’on en croit les docteurs du positivisme ? Qu’il raconte une
histoire fausse, éventuellement un peu exagérée, mais dont il sera possible de
tirer des lumières : Onéguine n’a certes jamais
existé ; il serait naïf de le prendre pour un portrait de Pouchkine ;
mais il représente toute une catégorie sociale ; en faisant sa
connaissance, en analysant ses réactions, on comprend à la fois ce qu’a été le
sort de certaine jeunesse aristocratique à la fin du règne d’Alexandre Ier,
quelles fautes elle a commises et comment s’y prendre pour les éviter.
Il ne
faut pas s’y tromper : plusieurs écrivains, et non des moindres, sont
complices de cette entreprise. Tourgueniev écrit des romans pour attirer
l’attention de ses compatriotes, vers1860, sur ce qu’il appelle « les
hommes de trop ». On s’empresse de considérer qu’Onéguine
est le prédécesseur de ces gens-là. Dostoïevski travaille à un roman sur la
nouvelle génération, celle des intellectuels pauvres et sans foi :
l’Hermann de La Dame de pique laisse prévoir, trente ans plus tôt, le Raskolnikov de Crime et châtiment.
Et sans
doute n’a-t-on pas tort de se demander, aujourd’hui encore, comment des
jugements sur le monde sont entrés, à titre de matériaux, dans la composition
de textes, qui, d’ailleurs, ont survécu à la disparition de ce monde-là :
la nouvelle génération de 1860 est réduite en poussière depuis longtemps, et
nous lisons encore Dostoïevski, sans nous contenter d’y chercher un document
historique.
Aux
beaux temps du classicisme, le mot « fable » avait un autre
sens : il désignait ce que, depuis les dernières années du XVIIIe
siècle, nous avons commencé à appeler les « mythes ». On comprend
aisément pourquoi : ces traditions païennes, qui choquaient déjà Platon,
ne méritaient qu’on y prenne garde que dans la mesure où l’on pouvait en tirer
une leçon. Tout mythe était susceptible d’allégorie, le plus souvent sous la
forme d’une interprétation morale : Médée, Phèdre montrent à quelles
extrémités conduisent les passions furieuses.
Pourquoi
inventer le mot « mythe » ? Pourquoi reprendre au grec ce terme
que le latin ignorait ? On a à juste titrel’impression
que, dans les milieux du romantisme allemand où la chose semble s’être faite,
était perçue on ne sait quelle résistance de la narration à sa traduction en
concepts.
RACONTER
Pouchkine
raconte. Dès qu’une œuvre de lui dépasse deux pages, c’est un récit. Beaucoup
de textes plus brefs sacrifient, eux aussi, à la nécessité de narrer. Tout est
bon : mythologie à l’antique, contes populaires, histoire pour historiens,
chronique mondaine, réalité, fiction, visions. Tout se raconte.
Par un
paradoxe qui mérite l’attention, la biographie, qui se raconte comme le reste,
ne donne lieu ni à narcissisme, ni à protestations de sincérité. Celui qu’elle
met en scène, conscient de devoir perpétuellement jouer un rôle, renonce à
l’espoir absurde de passer pour irremplaçable.
On ne
sait rien de l’autobiographie que Pouchkine avait commencé à rédiger au début
des années vingt, et qu’il a brûlée dès qu’a été connue l’insurrection de 1825.
« J’ai
été obligé de brûler ces notes. Elles pouvaient compromettre de nombreuses
personnes et, peut-être, augmenter le nombre des morts. Je ne peux pas ne pas
regretter leur perte ; j’y parlais, avec la franchise de l’amitié ou d’une
étroite connaissance, de gens qui par la suite sont devenus des personnages
historiques. » (OC3, p. 548)
Я
принужден
был сжечь сии
записки. Они
могли
замешать
многих и,
может быть,
умножить число
жертв. Не
могу не
сожалеть о их
потере; я в
них говорил о
людях,
которые
после сделались
историческими
лицами, с
откровенностию
дружбы или
короткого
знакомства.
Longtemps
après, Pouchkine commence une nouvelle autobiographie.
« M’étant choisi comme
personnage autour duquel je m’efforcerai d’en réunir d’autres, plus dignes
d’être remarqués, je dirai quelques mots de mes origines. » (Ibidem)
Избрав
себя лицом,
около
которого
постараюсь
собрать
другие, более
достойные замечания,
скажу
несколько
слов о моем
происхождении.
Suivent
quelques pages sur des ancêtres assez pittoresques, dont le fameux « nègre
de Pierre le Grand », et le fragment s’arrête là. D’Alexandre
Sergueïevitch, pas un mot. Il l’avait annoncé : la première
autobiographie, celle qui a disparu en 1825, présentait mille personnages
divers ; il en va de même pour la seconde. L’auteur est un témoin, qui
regarde le monde autour de lui, et qui oublie de jeter un coup d’œil au miroir.
Ce n’est
pas un portrait de Pouchkine qu’on se rappelle, c’est une manière de conter.
LA VIE
ET L’ŒUVRE D’IVAN PÉTROVITCH BELKINE
De tous
les doubles du poète, celui qui lui ressemble le plus est sans doute ce brave
gentilhomme de campagne, qui, comme Pouchkine, note dans sa mémoire des
anecdotes qu’il a entendu dire, et tente de les narrer à son tour. Il s’appelle
Ivan Pétrovitch Belkine.
Son nom de famille rappelle le mot qui signifie « écureuil », белка
(prononcer :
« bielka »).
Les
amateurs de contes connaissent cet écureuil. Il en est question dans Le Tsar
Saltan.
« Oyez, que les
gens le sachent
Loin dans la forêt se
cache
L’écureuil qui sait
chanter
Et croquer sans
s’arrêter
Des noix nullement
rustaudes.
Les fruits sont des
émeraudes.
Les coquilles sont en
or,
C’est ce qu’on nomme un
trésor. »
(EE1,
p. 341, trad. de Satho Tchimichkian)
Знайте,
вот что не
безделка:
Ель
в лесу, под
елью белка,
Белка
песенки поет
И
орешки всё
грызет,
А
орешки не
простые,
Всё
скорлупки
золотые,
Ядра
— чистый
изумруд;
Вот
что чудом-то зовут.
( La
traduction, en prose, de E. Vivier-Kousnetzoff,
Paris, R. Kieffer, 1925, est un peu plus proche de l’original : Savez-vous,
voici qui n’est pas une bagatelle : Un sapin se dresse dans une forêt.
Au-dessous, un écureuil apprivoisé chantonne. Il casse des noisettes avec ses
dents, non des noisettes ordinaires, mais des noisettes d’or et dont les
amandes sont de pures émeraudes. Voilà ce qu’on appelle une merveille !)
On a
retrouvé, dans les papiers de Pouchkine, des textes de contes et de chansons
populaires qu’il a dû noter vers 1824, à Mikhaïlovskoïé.
Sa nourrice, Arina Rodionovna, avait un répertoire
étendu. Certain « tsar Sultan Sultanovitch »,
empereur turc, entend parler d’une merveille.
« Près
de la mer, de la Mer en arc, il y a un chêne, sur ce chêne des chaînes
d’or ; un chat se promène
sur ces chaînes ; s’il monte, il dit des contes ; s’il descend, il
chante des chansons. »
у моря
лукомория
стоит дуб, а
на том дубу
золотые цепи,
и по тем
цепям ходит
кот: вверх
идет — сказки
сказывает,
вниз идет —
песни поет. [1]
Avant
d’écrire Le Tsar Saltan, qui suit de très près
le conte noté, Pouchkine a utilisé l’histoire du chat conteur dans un prologue
qu’il a écrit pour une nouvelle édition de Rouslan
et Ludmila.
« Un chêne croît
près d’une anse marine.
Le chêne est vert, ceint
d’une chaîne d’or
Et, nuit et jour, lié à
cette chaîne,
Un chat savant, mais
savant, tourne en rond.
Va-t-il à droite ?
Il entonne un refrain
À gauche ? Un conte
il nous raconte. » (LM, p. 105)
У
лукоморья
дуб зеленый;
Златая
цепь на дубе
том:
И
днем и ночью
кот ученый
Всё
ходит по цепи
кругом;
Идет
направо —
песнь
заводит,
Налево
— сказку
говорит.
Ce texte
célèbre a été souvent traduit (EE1, p. 327 ; EE2, p. 343 et 360). Toujours
on se heurte aux mêmes difficultés : le jeu de sonorités sur
« chêne » et « chaîne » n’est pas dans l’original ; le
mot « anse » évoque-t-il, comme le mot russe qu’il traduit, le style
des chansons populaires ? Faudrait-il se résigner à des faux sens délibérés,
nommer un autre arbre que le chêne, traduire « près de l’anse » en
empruntant à une chanson de chez nous le refrain « sur le bord de l’île » ?
Qui
chante et dit des contes ? Le chat ou l’écureuil ?
Le brave
Ivan Pétrovitch Belkine a
partie liée avec l’écureuil chantant. Lui aussi, il dit des histoires. Comme le
Pouchkine de l’autobiographie à peine ébauchée, il est au centre d’un monde où
son rôle se borne à introduire des personnages plus importants que lui :
un marchand de cercueils, un maître de poste, par exemple.
Il faut
pourtant remarquer qu’en lui donnant l’existence Pouchkine s’est plu à
l’entourer lui-même d’un nombre étonnant de créatures nouvelles, comme, par
exemple, le « lieutenant-colonel I.L.P. » (Folio, p. 16), à qui Ivan Pétrovitch aurait entendu raconter Le Coup de pistolet.
La note de l’éditeur qui précède le recueil est un roman à elle toute seule.
Elle suppose une chaîne de transmission assez longue : le
lieutenant-colonel et d’autres personnes ont raconté des histoires à Belkine ; Belkine a noté ces
histoires, en indiquant sur son manuscrit le nom de ses informateurs ; un
ancien ami d’Ivan Pétrovitch écrit la biographie de
cet excellent homme, et la transmet à l’éditeur, qui signe « A.P. »,
tant et si bien qu’on finit par se demander si cet « A.P. » n’est pas
lui-même un peu fictif, comme l’était en partie le narrateur d’Onéguine.
On note
qu’Ivan Pétrovitch Belkine
est aussi l’auteur de l’Histoire du bourg de Gorioukhino,
qu’il a malheureusement laissé inachevée, et que Pouchkine n’a pas publiée de
son vivant ; on recueille dans ce texte différentes précisions sur la vie
du naïf écrivain, qui est né à Gorioukhino même, le 1er
avril 1801. Le choix de cette date est aussi parlant en Russie qu’en France.
Une
phrase rayée sur le manuscrit donne, par ailleurs, à réfléchir. Ivan Pétrovitch écrivait, à propos de son poème Rurik, dont il n’a réussi à composer que deux vers
et demi :
« Un
commencement à l’ancienne par « Je chante… » ou par « Ô
Muse… » me faisait à juste titre l’effet d’une imitation servile, indigne
d’un génie libre et original. »
Старинное
вступление пою
или о муза
справедливо
казалось мне
рабским
подражанием,
недостойным
свободного,
оригинального
гения.
Lorsque
Pouchkine écrit cette phrase, avant de la biffer, il n’y a pas si longtemps
qu’il a publié le chapitre VII d’ Onéguine,
qui se termine dans une strophe impertinente par une parodie de
prologue :
« Je
chante un ami de jeunesse
Et la somme de ses
lubies.
Muse des grandes
épopées,
Sois favorable à mes
travaux,
Arme ma main d’un bâton
sûr
Et surveille mes
incartades. »
Voilà mon prologue. Sans
doute
Il vient bien tard. Mais
il existe.
Les classiques seront
contents. (EO, VII, 55)
« Пою
приятеля
младого
И
множество
его причуд.
Благослови
мой долгий
труд,
О
ты, эпическая
муза!
И,
верный посох
мне вручив,
Не
дай блуждать
мне вкось и
вкрив. »
Довольно.
С плеч долой
обуза!
Хоть
поздно, а
вступленье
есть.
Pourquoi
Pouchkine se déguise-t-il en Ivan Pétrovitch ?
Pourquoi, dans La Demoiselle paysanne
la jeune Lisavéta Grigorievna
se déguise-t-elle ? Pourquoi choisit-elle le nom d’Akoulina ?
Une
chose est certaine : Belkine est un maître dans
l’art d’agencer une histoire ; il s’y entend, sans en rien dire, à
construire une énigme, à changer les points de vue, à mettre en scène ou à
faire oublier son narrateur, à fabriquer des leurres, à compliquer la
chronologie, à enchevêtrer les récits, à dénouer l’intrigue en deux mots. Y
a-t-il même dénouement ? « Le
lecteur, ici, me fera grâce ; je le
laisse imaginer le
dénouement. »
La même
formule pourrait apparaître à la fin de La Tempête de neige. Sans doute
l’histoire s’achève-t-elle selon les meilleurs principes classiques. Mais à
quoi bon s’étendre sur ce qui est évident ?
C’est
sans doute parce que Belkine tient ses histoires de
diverses personnes que son talent de conteur offre tant d’aspects différents.
Il donne tour à tour dans le fantastique, dans le romanesque, dans le
sentimental ; il est drôle, il fait
peur, il est ému. Il pratique un certain humour, diverses sortes
d’humour : le ton n’est pas le même dans Le Marchand de cercueils, qu’il tient du
« commis B.V. » (homme simple, qui n’a qu’un prénom et un patronyme,
sans nom de famille), et dans La
Tempête de neige et La Demoiselle-paysanne, qu’il a entendu conter à
« Mademoiselle K.I.T. ».
Mais, de
toute façon, Ivan Pétrovitch propose des histoires
bien construites C’est parce qu’il ignorait que son manuscrit tomberait un jour
entre les mains d’un certain A.P. qu’il a sagement respecté, dans ses récits,
la continuité qui caractérise la prose. D’ailleurs, mort en 1828, il n’a pu
lire ni Eugène Onéguine, ni Boris Godounov.
Donc il a respecté l’unité d’action.
On
remarque pourtant que ses histoires jouent beaucoup de la discontinuité. Pour
que les rencontres étranges, les coïncidences émouvantes puissent se produire,
il faut que la ligne narrative ait connu des interruptions. Le Coup de pistolet est en deux épisodes,
séparés par la formule « quelques années plus tard ». Entre-temps, le
narrateur a changé de résidence, comme
le fait l’héroïne de La Tempête de neige après sa première
aventure.
Parfois
la discontinuité est masquée de façon malicieuse : le lecteur ne sait pas
quand Adrien, marchand de cercueils, est passé du monde de la veille à celui du
rêve. Le Maître de poste est construit sur trois rencontres entre le
narrateur et le héros. Lors de la troisième, le héros est mort. À chaque fois,
il s’agit de comprendre ce qui s’est passé dans l’intervalle. Et tout se joue
sur la manière dont la parole passe d’un personnage à l’autre, pour éviter
presque systématiquement le moment où l’émotion s’exprimerait trop ouvertement.
La
célèbre analyse en termes de tons opposés que Boris Eikhenbaum
a faite du Manteau de Gogol, et
qui a fondé l’école critique dite « formaliste », pourrait être menée
sur la nouvelle de Belkine. Elle mènerait à poser la
question de savoir ce qui se passe exactement dans ce texte, et quelle est la
plus importante des deux histoires : celle du héros ou celle du narrateur ?
Car le héros est pris dans certain jeu d’événements, qui le font souffrir. Mais
la découverte progressive de cette histoire par le narrateur est aussi une
histoire. Et il se produit d’étranges rencontres entre les deux : pourquoi
le narrateur, au début, donne-t-il un baiser à la petite Dounia ? Pourquoi
ce baiser est-il si délicieux ? Il semble que la multiplicité des
histoires tende à réduire l’intérêt de chacune d’elles, si on parle d’intérêt
en termes de curiosité et de tension : la disparition de Dounia cause une
surprise, propose une énigme, mais ce procédé, ici, pique beaucoup moins
l’attention que dans d’autres textes. En fait l’histoire, émouvante, navrante,
ne se construit pas selon les principes classiques. On dirait presque qu’elle
n’a pas de dénouement. Le Maître de poste laisse doucement s’éteindre, à
la Tchékhov, l’écho d’un soupir. Ivan Pétrovitch Belkine se trouve avoir écrit, à partir d’une anecdote
insignifiante, la variante touchante, bouleversante, de textes qu’il n’a sans
doute pas lus : Le Comte Nouline
ou La Petite Maison de Kolomna.
Ces deux poèmes jouaient de la
parodie ; le premier, suggère Pouchkine, est une réponse joyeuse à la
question : que se serait-il passé si la
vertueuse Lucrèce, au lieu de se suicider après avoir été violée par Tarquin,
avait commencé par lui donner une bonne gifle ? Le second prolonge sans
mesure un prologue ambitieux et traite à toute allure une histoire simplement
piquante, avant d’offrir un semblant de morale, qui n’a pas du tout l’air
sérieux.
Dans Le
Maître de poste, on a aussi un bavardage préliminaire, puis le récit d’un
fait divers. Aucune morale n’est possible. C’est que le schéma parodique,
parodié à l’envers, ne ramène pas au point de départ ; la métamorphose
d’une plaisanterie en histoire triste ne produit pas un récit classique, bien
fermé, mais autre chose. Un certain cheminement vers le silence.
LE POÈTE
ET LA VIE DES MYTHES
On dit
souvent que Pouchkine a fondé la littérature russe, ou qu’il lui a ouvert la
voie. Belles métaphores, qui en imposent, mais qui égarent. Il n’est pas vrai
que Pouchkine signifie pour les lettres russes un commencement dans tous les
sens du mot. La littérature russe existe depuis le Moyen Âge ; elle est
particulièrement riche en chroniques pittoresques, que Pouchkine n’ignore pas,
auxquelles il fait plus d’une fois allusion. Le personnage de Pimène, dans Boris Godounov, évoque tous les clercs
qui ont voulu, en belle prose, garder le souvenir des événements passés et dire
la vérité sur les crimes des princes.
Certes,
dans la production médiévale, la poésie n’est guère représentée. Le fameux
Dit de la campagne d’Igor use-t-il d’une langue rythmée ? On en
discute encore aujourd’hui. Pouchkine, en tout cas, connaît et estime ce texte,
qui vient à peine de sortir de l’ombre ; il ne partage pas le scepticisme
de certains de ses contemporains qui, se souvenant d’Ossian, supposent un faux.
Si l’on
oublie l’étymologie, si l’on admet que l’expression « littérature
orale » est pourvue de sens, on doit reconnaître qu’il existe une
littérature orale extrêmement vivante en Russie à l’époque où Pouchkine
commence à écrire. Il ne peut pas l’ignorer, pas plus que tous ceux qui, comme
lui, appartiennent à la noblesse ; car, s’il est vrai que dans cette
classe privilégiée la culture est profondément marquée par les influences
occidentales, et notamment par l’influence française, il est aussi vrai que les
enfants sont élevés par des domestiques qui viennent du village. La nourrice de
Pouchkine, Arina Rodionovna, est devenue un
emblème ; il serait faux de la prendre pour une exception. Elle dit des
contes, elle chante des chansons. Or Pouchkine a noté certains de ces contes,
certaines de ces chansons.
Le mot
« littérature » prend son sens et sa valeur actuels à la fin du XVIIIe
siècle, et ce, dans toute l’Europe. À l’époque où Pouchkine commence à écrire,
la littérature russe, au sens étroitement moderne du terme, existe depuis plus
d’un demi-siècle. Elle possède ses institutions : une Académie, des
théâtres, des revues ; il existe des livres, des auteurs appréciés, que
Pouchkine connaît et respecte. Citons, sans souci d’exhaustivité, Derjavine,
dont les odes ont célébré Catherine II, Fonvizine, auteur de comédies vivement
enlevées : Le Brigadier, Le Mineur.[2]
Plus d’une fois s’est présentée à nous l’occasion de mentionner Karamzine, qui
n’a pas seulement publié son Histoire de l’État russe, mais aussi des
poèmes, des récits en prose et un récit de voyage en Occident qui ne manque pas
d’intérêt : Karamzine passe à juste titre pour avoir, l’un des premiers ou
peut-être le premier, donné l’exemple d’une prose moderne, en prise sur la langue
vivante. Il faut aussi songer à des poètes, comme Joukovski ou Batiouchkov, que
Pouchkine connaissait personnellement et considérait comme des aînés dont il
suivait les traces.
On ne
pourrait même pas dire que ces auteurs n’ont qu’une importance historique et
que Pouchkine est le premier écrivain russe dont les œuvres soient encore
aujourd’hui réellement lues, lues spontanément par d’autres que des
spécialistes. Ce serait oublier l’existence de Krylov, le fabuliste, dont
certains textes sont dans toutes les mémoires comme, chez nous, les vers de La
Fontaine.
Pouchkine n’est pas, tant s’en faut, le premier Russe
qui ait écrit de la littérature. Il est sans doute l’un des premiers qui se
soient préoccupés du statut de l’écrivain en Russie : ses prédécesseurs
ont souvent des allures d’amateurs. Il serait, lui, l’un des premiers
professionnels. Cette thèse est solide. Mais on ne voit pas pourquoi le rôle de
premier défenseur de la propriété littéraire devrait conférer au poète la
gloire qui est toujours la sienne.
Il y a
autre chose.
Pouchkine
est le premier qui ait donné à la Russie, avant Dostoïevski, avant même Gogol,
des mythes. Ces mythes sont toujours vivants.
Il n’est
nullement question ici de ces mythologies slaves que des érudits patriotes
avaient exhumées, ou fabriquées, au XVIIIe siècle, et même avant,
pour faire concurrence à la sacro-sainte mythologie gréco-latine. Pouchkine a
parfois mentionné Léli, un Cupidon russe, ou appelé
les canons des « Pérouns », du nom d’un
ancien dieu de l’orage. Ce sont là des fleurs de rhétorique, analogues aux
« dons de Cérès » ou à « l’empire de Neptune », qui
désignent le pain et la mer dans la poésie classique la plus conventionnelle.
En
revanche, les êtres mythiques de la tradition populaire apparaissent assez
souvent dans son œuvre, comme le promettait le prologue de Rouslan
et Ludmila : le « léchi »,
la « roussalka » hantent l’un les forêts, l’autre les rivières. On
peut traduire « sylvain », « ondine ». Une petite tragédie,
malheureusement inachevée, conte les amours d’une ondine et d’un mortel (EE2,
p. 83, sous le titre La Sirène ;
OC1, p. 177, sous le titre La Roussalka) ; on en retrouve la
substance dans le quinzième des Chants des Slaves de l’Ouest, « Yanich, le fils de roi » (EE1, p. 315), poème qui ne
doit rien à la Guzla de Mérimée.
D’une
manière générale, les légendes populaires, merveilleuses ou cocasses — mais les
deux traits ne sont pas exclusifs l’un de l’autre — ont largement inspiré
Pouchkine. Il faut noter qu’il n’a jamais eu à leur égard l’attitude frileuse
d’un collectionneur ou d’un conservateur. On s’étonne de sa désinvolture :
quand il note un conte qu’il a entendu, il se permet des « etc. », ou
des expressions françaises ; quand il compose un conte, il arrange sa
matière à son gré, utilise éventuellement des sources livresques, russes ou
allemandes ; il lui est arrivé de piller Grimm. S’indigner ne servirait de
rien : le but du poète n’est pas de figer la tradition dans une
fallacieuse éternité ; il faut que le vent souffle et que le conte vive. L’ethnologue enregistre
docilement ; le conteur brode à son aise quand l’envie lui en prend.
Pouchkine est du côté du conteur. P.V. Kiréïevski
raconte que Pouchkine lui avait donné, dans un cahier, une cinquantaine de
chansons en le priant de distinguer « celles que chante le peuple et
celles que j’ai fabriquées moi-même ». Le cahier s’est conservé, et
l’énigme reste entière. Le folklore vit de ce qu’il se transforme, lentement,
insensiblement. Pouchkine a, pour sa part, contribué à cette transformation.
Ce tour
de force suppose une capacité d’adaptation peu commune. Dostoïevski prétendait que les vrais Russes sont capables
de s’assimiler, comme Pouchkine, toutes les cultures. L’écrivain français
Melchior de Vogüé, qui a écrit les premières études importantes sur les grands
romanciers russes, soutenait, pour sa part, que Pouchkine est d’abord
universel, et que les motifs russes n’occupent qu’une petite place dans son
œuvre, à côté d’autres motifs venus d’ailleurs. La controverse n’a pas grand
sens. Elle cache un détail : dans la schizophrénie qui dominait la culture
russe, partagée entre sa tradition propre et les courants venus de l’Occident,
il n’est pas facile pour un aristocrate élevé en français de composer des
chansons populaires qui ne soient pas des faux patents.
Mais
Pouchkine ne s’est pas laissé prendre au piège de la trop parfaite
authenticité : les textes qu’il publie sont des stylisations ; ils
utilisent le russe littéraire, à peine coloré par quelques mots de terroir, par
quelques tours savoureux ; la facture des vers y est souvent très
rigoureuse, beaucoup que celle des chansons populaires. On pourrait dire qu’il
en va chez lui du folklore comme de la langue française. Il maîtrise cette
langue à la perfection ; des dizaines de lettres en témoignent. Mais il se
refuse à en user pour la poésie. De rares exceptions prouvent qu’il en aurait
été capable. « Comme un léger soupir sa douce âme s’exhale. » Le vers
pourrait être de Parny ou de Chénier. Il est de Pouchkine. Mais Pouchkine a
préféré traduire, c’est-à-dire métamorphoser en beaux vers russes certains
poèmes de Chénier ou de Parny.
C’est
pourquoi il a pu faire vivre aussi l’antique mythologie grecque : il a
négligé les oripeaux qu’en avait tirés la convention classique ; il a
perçu le souffle premier. Et la Muse vient le voir au milieu d’un parc à
l’anglaise, non loin de Pétersbourg.
C’est
pourquoi il n’a pas hésité à reprendre la vieille histoire de Don Juan,
espagnole, un peu italienne aussi, à cause de Mozart ; c’est pourquoi il
écrit son propre Faust.
Il
reprend un mythe comme un acteur reprend un rôle : il s’y soumet et lui
impose sa voix. Une coïncidence se produit, le temps d’un spectacle. Pouchkine
le savait. Il l’a fait dire à un de ses personnages, à une comédienne, à
Laura :
Oui.
Aujourd’hui chaque mot, chaque geste
Etait heureux.
Je suivais librement
Le mouvement qui m’emportait. Les mots
Ne venaient plus d’une mémoire esclave,
Mais de mon cœur.
(EE2, p. 49)
Да, мне
удавалось
Сегодня
каждое
движенье,
слово.
Я
вольно
предавалась
вдохновенью.
Слова
лились, как
будто их
рождала
Не
память
рабская, но
сердце...
Dire une
histoire, est-ce jouer un rôle ?
Pouchkine
a composé des rôles pour ses lecteurs, des figures imaginaires qui n’ont cessé
de les hanter.
Pourquoi
ses récits ont-ils si souvent tenté les gens de théâtre ? On met en cause
le goût des librettistes pour la facilité, le préjugé douteux selon lequel un
bon roman fait nécessairement un bon opéra. On s’étonne, ou on s’indigne, des
distorsions subies, du suicide d’Hermann chez Tchaïkovski, des hurlements
poussés par Boris chez Moussorgski.
Quand on
y songe, on s’aperçoit à la fois que le théâtre ne peut pas tout dire, tout
reprendre sans trahison, et que le mal n’est pas grand. L’Eugène Onéguine de Tchaïkovski trahit souvent celui de
Pouchkine, mais il ne cesse d’y faire allusion. On dirait que le librettiste
compte sur l’effet de ces allusions, et néglige souvent de se mettre martel en
tête pour faire passer ce qui passera
de toute façon, puisque le spectateur
connaît le poème.
Pourquoi
ne pas définir le mythe par cette possibilité qu’il donne à l’expression
allusive ? La vie d’un mythe ne suppose pas toujours la récitation
solennelle de tous ses détours. Il peut suffire d’un mot ; la mémoire est
à nouveau sollicitée, la vieille histoire retrouve sa verdeur, ou plutôt
atteste de sa verdeur maintenue.
Avant
Pouchkine, Joukovski avait conté, à n’en plus finir, empruntant aux Allemands
aussi bien qu’au folklore de son pays, si bien qu’on se demande parfois, à
tort, s’il a jamais fait autre chose que de traduire
en beaux vers tout ce qui lui tombait sous la main. On sait que sa Svetlana est
une Lenore russe.
Avant
Pouchkine, des comédies avaient mis à la mode des répliques, des mots d’auteur
qu’on peut citer. Le Malheur d’avoir trop d’esprit est la plus
connue : son auteur, Griboïédov, n’a que
quelques années de plus que Pouchkine.
Mais le
mythe n’est ni la légende pieusement conservée, ni la formule brillante qu’on
se plaît à rappeler. C’est tout cela et plus encore. C’est :
« Je me rappelle un
instant merveilleux » (JLB,
p. 149)
Я помню чудное
мгновенье:
C’est la
voix de Tatiana :
« Et le bonheur
était si proche,
Si possible… » (EO, VIII, 47)
А
счастье было
так возможно,
Так
близко!..
C’est le
cri de Don Juan quand entre la statue : « Dona anna ! »
C’est aussi :
Il y a
sur le bord de l’ile un arbre vert ;
Sur cet arbre une chaine d’or.
У
лукоморья
дуб зеленый;
Златая
цепь на дубе
том.
On
entend cette chanson au premier
acte des Trois sœurs de
Tchékhov ; c’est le
personnage de Macha qui la
murmure, qui ne cesse de la murmurer. Dans un public russe, on connaît le poème ; on pourrait
le dire avec la comédienne ; on pourrait réciter les vers qui suivent.
C’est un poème qu’on a appris à l’école, peut-être sans trop savoir de qui il
était. Un poème qui tend à devenir anonyme, parce qu’il reprend la manière de
ces chansons dont on ne connaît plus l’auteur. Le chat savant dit des contes.
Le
cavalier de bronze veille toujours sur Pétersbourg. Les touristes vont le voir.
Il a une expression terrifiante. Mais on peut le trouver bien petit.
On a
beau faire. On a beau savoir que c’est lui, que la statue est de Falconet,
qu’il s’en trouve dans Pouchkine une évocation. On a beau faire, on le trouve
petit. C’est qu’on se rappelle avoir couru, la nuit, dans les rues de la ville
bâtie sur la mer. On se rappelle avoir été poursuivi par un galop fantastique.
On se le
rappelle vraiment.
On
finirait par y croire.
Notre
étude a commencé par une question un peu simple : peut-on dire que
Pouchkine est romantique ? Il importait de ne pas se faire
d’illusions : le mot « romantique », cliché scolaire, n’est pas
pourvu d’un sens précis. Tout au plus sert-il à
grouper quelques traits que l’on s’accorde à estimer caractéristiques, et qui
peuvent servir pour autant qu’ils restent à peu près précis : c’est le cas
pour la tentation de l’exotisme ; ce l’est peut-être moins pour la
domination du sentiment sur la raison, car on ne sait trop comment définir
l’une et l’autre notion.
Notre
objet n’était nullement de répondre par oui ou par non à la question posée. Il
était plutôt de déterminer à quelles conditions le mot « romantique »
pouvait être appliqué à Pouchkine, étant bien entendu que nombre de
commentateurs ont considéré que le poète
avait quelque jour tourné le dos au romantisme pour se vouer à ce qu’il est
convenu d’appeler le « réalisme ».
On fera
bien de se rappeler quel usage certains écrivains de sa génération faisaient
des deux vers de Shakespeare qui ont déjà été cités plus haut :
« Il y a plus de
choses au Ciel et sur la Terre, Horatio,
Qu’il n’en est rêvé dans
votre philosophie.
Cette
parole d’Hamlet n’est pas d’interprétation simple, parce qu’elle reste muette
sur la nature de ces « choses » dont la philosophie n’a pas encore
été capable de rêver. On pourrait donc y voir une profession de foi, entendre
que l’autre monde existe, et même peut-être qu’il est conforme à ce qu’en ont
dit certaines traditions méprisées par la philosophie officielle. On pourrait
aussi comprendre que notre langage n’a pas encore réussi à épuiser la réalité,
celle qui nous dépasse et celle que nous avons sous les yeux, et que la
fonction du poète est d’élargir sans cesse une vision que ne cessent de
rétrécir la précipitation et la pusillanimité morale.
Si l’on
considère que le romantisme est une réaction contre la sujétion où, au XVIIIe
siècle, grâce au succès des poètes comiques et satiriques, l’obsession de la
vie sociale et politique, jointe à la morale du « castigat
ridendo mores » avait tenu la poésie, on
sera tenté de penser que le mot « romantique » aide à mieux
s’approcher de l’œuvre de Pouchkine. Il permet d’employer plus sûrement le mot
de « métamorphose », de le comprendre comme désignation d’un événement,
de ne plus commencer par poser la question de savoir à quel état doit aboutir
la métamorphose. Car c’est l’éveil, le passage, qui importe.
Mérimée
savait sans doute ce qu’il faisait lorsqu’il a terminé son article sur
Pouchkine — article précieux, bien qu’il puisse nous paraître désinvolte et
léger — en citant « Le Prophète ». Il note que cette poésie « a
eu le malheur d’être prise par la censure pour un dithyrambe
révolutionnaire ». L’interprétation stupide a disparu, mais ce ne serait
pas un malheur moins grand pour cet
hymne à la vision que de passer pour la transcription docile d’un texte
religieux connu. La « Parole » proférée n’est pas expression d’une
vérité immuable, mais puissance de renouvellement.
Debout,
Prophète, vois, écoute,
Emplis-toi de ma volonté.
Et parcourant terres et
mers,
Brûle
les cœurs au feu du Verbe.
Восстань,
пророк, и
виждь, и
внемли,
Исполнись
волею моей,
И,
обходя моря и
земли,
Глаголом
жги сердца
людей.
La voix qui
donne ces ordres est-elle la même que celle qu’évoque un des derniers poèmes de
Pouchkine ?
Ce
poème, Mérimée l’a traduit en prose. Serait-il scandaleux de transcrire son
texte en vers libres ?
Tourmenté d’une soif spirituelle,
J’allais errant dans un
sombre désert,
Et un séraphin à six ailes
M’apparut à la croisée d’un
sentier.
De ses doigts légers comme un
songe,
Il toucha mes
prunelles ;
Mes prunelles s’ouvrirent
voyantes
Comme celles d’un aiglon
effarouché ;
Il toucha mes oreilles, elles
se remplirent de bruits et de rumeurs,
Et
je compris l’architecture des cieux
Et
le vol des anges au-dessus des monts,
Et
la voie des essaims d’animaux marins sous les ondes,
Et
le travail souterrain de la plante qui germe.
Et
l’ange se penchant vers ma bouche
M’arracha
ma langue pécheresse,
La
diseuse de frivolités et de mensonges,
Et
entre mes lèvres glacées sa main sanglante
Mit le dard du sage serpent.
D’un
glaive il fendit ma poitrine
Et
en arracha mon cœur palpitant,
Et
dans ma poitrine entr’ouverte
Il
enfonça une braise ardente.
Tel
qu’un cadavre, j’étais gisant dans le désert,
Et
la voix de Dieu m’appela :
« Lève-toi,
prophète, vois, écoute,
Et
parcourant et les mers et les terres,
Brûle
par la Parole les cœurs des humains. »[3]
Духовной
жаждою томим,
В пустыне
мрачной я
влачился, —
И
шестикрылый
серафим
На перепутье
мне явился.
Перстами
легкими как
сон
Моих зениц
коснулся он.
Отверзлись
вещие зеницы,
Как у
испуганной
орлицы.
Моих ушей
коснулся он, —
И их наполнил
шум и звон:
И внял я неба
содроганье,
И горний
ангелов
полет,
И гад морских
подводный
ход,
И дольней
лозы
прозябанье.
И он к устам
моим приник,
И вырвал
грешный мой
язык,
И
празднословный
и лукавый,
И жало мудрыя
змеи
В уста
замершие мои
Вложил
десницею
кровавой.
И он мне
грудь рассек
мечом,
И сердце
трепетное
вынул,
И угль,
пылающий
огнем,
Во грудь
отверстую
водвинул.
Как труп в
пустыне я
лежал,
И бога глас
ко мне
воззвал:
«Восстань,
пророк, и
виждь, и
внемли,
Исполнись
волею моей,
И, обходя
моря и земли,
Глаголом жги
сердца
людей».
Cette « voix de Dieu » qui retentit dans le désert semble annoncer, dans ce poème qui date de 1826, un des derniers textes de Pouchkine, un texte qui prend pour nous une allure de testament,[4] un texte qui évoque l’ordre de Dieu, l’injonction divine :
Sois docile, ô ma Muse, à l’injonction divine,
N’attends point de couronne et ne crains pas l’affront,
Reçois sereinement la louange et l’injure
Sans ergoter avec les sots.
(LM, p. 176)
Веленью
божию, о муза,
будь
послушна,
Обиды
не страшась,
не требуя
венца,
Хвалу
и клевету
приемли
равнодушно
И не оспаривай глупца.
[1] Il ne
semble pas que ce texte ait jamais été traduit en français. La « Mer en
arc » est une proposition nouvelle pour tenter de rendre le russe « Loukomorié »,
fréquent dans les contes populaires, qui désigne un paysage de légende.
L’étymologie suggère une courbe, un « arc » (louk), ce pourquoi
les traducteurs ont recours au mot « anse ».
[2] À ces traductions traditionnelles et génératrices d’erreurs, on devrait substituer des équivalents moins littéraux, mais plus exacts, par exemple : Le Colonel, Le Fils de famille ; ce brigadier-là est un officier de haut grade, et non un homme de troupe ; ce mineur-là est un jeune garçon qui n’a pas atteint sa majorité et n’a rien à voir avec l’exploitation du charbon
[3] La traduction est bien rythmée. Le lecteur peur regretter quelques défauts.
Un vers n’a pas été compris : « Et
je compris l’architecture des cieux. » Le texte signifie :
« Et je perçus le frémissement des
cieux. »
Un vers n’a pas été traduit. Après
« « Lève-toi, prophète, vois, écoute, » il faut ajouter :
« remplis-toi de ma volonté ».
[4] Le poème est écrit quelque mois avant la mort de Pouchkine.