ROMA ABRASADA de Lope de Vega Carpio
Le texte de cette "tragédie"a été publié à Madrid en 1625, dans Parte veinte de la Comedias de Lope de Vega Carpio. On le trouve sur Internet, dans la Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes (www.cervantesvirtual.com).
Lope, dans sa préface, emploie expressément le mot "tragédie", qui n'est pas alors d'un usage courant pour désigner un genre dramatique vivant. Il divise son œuvre en "actes", et non, comme c'est la coutume, en journées. On note qu'il attribue à Néron, son personnage, qui est empereur et se croit poète, le projet de composer une "tragédie." On lit, dans l'acte II :
"Maintenant il  pense à faire une tragédie
sur la passion  d’Achille pour Briséis."
ROME EN FLAMMES
Dédiée au maître Gil González de Ávila, historiographe de Sa Majesté
                Pour  faire de Votre Grâce un éloge reconnaissant, certes inégal à votre mérite, mais  au moins à la mesure de mes capacités d’ignorant, il était juste et nécessaire  de procéder à celui de l’Histoire ; on pourrait ainsi atteindre à une  parfaite connaissance de votre esprit délié et de l’universalité de vos  travaux. Mais pour qui connaît bien votre grandeur et vos principes, c’est en  vain qu’on chercherait dans la Rhétorique, dont le fondement est au-delà de la  vérité, bien que Cicéron veuille qu’elle soit vera et sincera narratio.* Laissons donc de côté les écrits de  Votre Grâce et leur haut degré de perfection historique, où l’on voit la vérité,  l’éloquence, l’art de l’ornementation et de l’exemplification joints à  l’harmonie dans la pureté de notre langue, car, comme dit Tite-Live : Hoc illud est praecipue in cognitione rerum  salubre et frugiferum, omnis te exempli documenta in illustri posita monumento  intueri, etc. ** Nous sommes vos obligés, nous qui sommes nés à Madrid, car  vous avez glorifié la ville, et nous aimons notre patrie.
  
  Nescio qua natale solum dulcedine cunctos
  Ducit, […]   ***
Mais Votre Grâce nous oblige plus  fortement encore, en l’offrant dans toute sa splendeur aux étrangers, qui ne  peuvent la voir que par l’ouïe ; la voracité du temps a mené nombre  d’empires à une misérable ruine, mais bien que ses vicissitudes aient défié son  heureuse fortune, il reste pour les siècles à venir un haut souvenir de son  état, et la suite des années saura que Madrid a été grande. Cette immense  dette, ma petite source voudrait la payer avec cette Tragédie de Rome ; je n’ai pas peint la ville dans sa grandeur  et sa plus haute félicité, comme Votre Grâce l’a fait de Madrid grâce à une  description digne d’un poème épique, que l’on respecte, que l’on vénère dans  l’admiration, comme un tableau de maître illustre ; je l’ai montrée en  flammes, quoique toujours elle-même, quoique la maîtresse du monde soit aux  pieds d’un tyran :  ainsi à cette  distance infinie apparaît l’impossible de la proportion. A la couronne que  Votre Grâce a placé sur la tête de ma ville, j’oppose un indigne laurier ;  à l’honneur qu’ont mérité nos magistrats, l’administration perverse des consuls  d’autrefois ; à la gloire qu’ont connue les lettres dans cet âge heureux,  l’ingrat disciple de Sénèque ; à la réputation de nos armes,  l’abandon des insignes consulaires et les aigles d’argent oubliées dans  l’oisiveté ; et le plus sanglant persécuteur de l’Eglise romaine à celui  qui a si bien célébré la monarchie catholique de Philippe IV. Finalement  pourquoi (je reprends les mots de Votre Grâce) l’Histoire ne serait-elle pas  touchée par la pensée d’Hérodote ? Il nous dit que les arts se rejoignent : Quo fit ut sapientius atque praestantius  Poësis Historia sit. ****
  Patiare igitur, obsecro, hanc opellam tuo faustissimo nomini dicatam  per Hispaniam diffundi. Vale.*****
  Lope  Félix de Vega Carpio
  * « une narration vraie et  sincère »
  ** « Voilà ce qui est bien  venu et fécond dans la connaissance des choses vraies : c’est que tu  puisses voir tout ce qui renseigne sur ton sujet inséré dans un monument de  grande allure. » Préface du Ab Urbe  condita. Tite-Live continue : « Ainsi tu pourras retenir, pour  toi et pour ton Etat, ce qu’il faut imiter ; et ce que, commencé dans la  honte, dans la honte conclu, il faut éviter. »
  ***« La terre natale nous  attire tous par je ne sais quelle douceur. » Ovide. Pontiques. I.I.35 
  **** « Ce pourquoi la Poésie  est plus sage et plus éminente que l’Histoire ». La citation vient en  réalité d’Aristote (Poétique. 1451  b) qui, d’ailleurs, nomme Hérodote deux lignes plus haut. D’où, peut-être,  la confusion.
  ***** « Souffre donc, je te prie, que ce petit ouvrage, orné de ton  nom, qui est de bon augure, se répande dans l’Espagne. Salut. » Ce  latin-là est de Lope lui-même.
CLAUDE,  empereur.
  FÉLIX.
  PALLAS.
  NÉRON.
  JULIE  AGRIPPINE, sa mère.
  POPPÉE.
  SÉNÈQUE,  philosophe.
  GERMANICUS,  enfant.
  OCTAVIE.
  VOLOGÈSE,  roi des Parthes.
  DARDANIUS,  son frère.
  MARIUS,  consul.
  NICÉTAS.
  PHÉNICIUS.
  UNE  VIEILLE.
  DES  HOMMES MASQUÉS.
  OTHON.
  SERGIUS.
  FULGENCE,  chrétien.
  CALLISTE,  chrétien.
  FURIUS,  soldat.
  GALBA,  général.
  VIRGINIUS.
  GALLUS.
  LUCIUS.
  HORTENSIUS.
  VITELLIUS.
  SULPICIUS.
  UN  PAYSAN.
  UN  APOTHICAIRE.
  CAMILLE.
  Tambour.
  Porte-drapeau.
  Soldats.
Musiciens.
* Claude. Né en ~10. Empereur de 41 à 54. De Messaline il a deux enfants : Octavie, et Britannicus, que Lope appelle Germanicus. Il fait exécuter Messaline, dont les débauches sont scandaleuses. Il épouse ensuite Agrippine, et adopte Néron.
  *Félix. Affranchi au service de Claude.  Frère de Pallas. A été procurateur de Judée de 52 à 60. — Il en est question  dans la Bérénice de Racine.
  *Pallas. Affranchi au service de Claude.  Mort en 62. Il en est question dans le Britannicus de Racine.
  *Néron. Né en 37. Fils d’Agrippine et de Domitius  Ahenobarbus. Adopté par Claude, à qui il succède sur le trône impérial. Mort en  68.
  * Julie Agrippine. Agrippina minor, Agrippine la  jeune. Née vers 15. Fille de Agrippine l’Aînée, elle-même petite fille  d’Auguste, et de Germanicus, neveu de Tibère. Le fils qu’elle a de Domitius  Ahenobarbus, Néron, appartient par elle à la famille impériale et peut donc  émettre quelques prétentions au trône. C’est au moins ainsi que les auteurs  classiques, Lope de Vega comme Racine, voient les choses ; le droit à Rome  était, sur ce point, beaucoup plus flottant que dans l’Espagne ou la France du  XVIIe siècle. 
  *Poppée. Poppaea Sabina. Née vers 30 ou  31. Femme, entre autres, d’Othon. Epouse en 62 Néron, dont elle est depuis  longtemps la maîtresse. Meurt en 65, victime de la brutalité de Néron. — Joue  un rôle important, sous le nom de Sabine, dans La Mort de Sénèque de Tristan l’Hermite et, naturellement, dans Le Couronnement de Poppée, de  Monteverdi.
  *Sénèque. Célèbre philosophe. Egalement  auteur de tragédies. On lui a longtemps attribué une Octavie. — Ne pas oublier qu’il est né à Cordoue et que les  Espagnols le considèrent comme une gloire nationale.
  *Germanicus, aussi appelé Britannicus. Fils de Claude. Selon Suétone (Claude, 27), il a reçu le cognomen, ou surnom, de Germanicus,  avant d’être appelé Britannicus. C’est le héros éponyme de la tragédie de  Racine. Né en 41, il n’avait pas quinze ans quand il a été assassiné. Racine  l’a, très consciemment,  un peu vieilli.
  * Octavie.Fille de Claude. Née en 40. On  la marie à Néron pour mieux légitimer son accession au trône.
  * Dardanius.Dans Tacite le personnage est  appelé Tiridate.
  * Marius.Un P. Marius Celsus a été  consul en 62. Mais le nom est banal, et Lope peut avoir inventé son personnage.
  *Othon. Né en 32. Ami de Néron. Mari de  Poppée. Exilé pour cette raison. Après la mort de Néron et celle de Galba,  il a régné quelques mois. — C’est le  personnage éponyme d’une tragédie de Corneille. Il joue un rôle important dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi.
  *Fulgence. Il existe un saint Fulgence,  mais il a vécu à une époque  plus  tardive.
  *Calliste. Il existe un saint Calliste, ou  Calixte,  qui a été pape, mais à une époque   plus tardive. Il existe par ailleurs, dans l’entourage de Claude, un  certain Calliste, qui n’est ni chrétien, ni honnête.
  *Galba. Né en ~3. Il a été empereur  pendant sept mois, après la mort de Néron.
  * Vitellius. Né en 15. Il a été empereur  pendant huit mois, après la mort d’Othon.